Je t’aime

Il faut être prêt. Ça arrive n’importe quand, de préférence à des moments improbables.

Nous les grands, on pèse ces mots-là. On pense moment, destinataire, circonstance, ambiance, moi aussi, non-retour. Les petits, ils te sortent ça de la mélasse du quotidien et du fond de leur poche pleine de miettes.

Un vendredi à la cantine, c’était le jour du gratin de gros-colis et Gaël était à ma table, mais je ne suis pas sa maîtresse officielle. Être « l’autre maîtresse », c’est avoir le droit de remonter ta fermeture-éclair, de faire tes lacets, de régler des conflits de balançoires et de te rendre à tes parents. Mais pas de cadeau, pas de régime de faveur, pas d’yeux qui brillent. On le sait, c’est comme ça. On a chacune nos élèves officiels. Ce vendredi là, Gaël a franchi la frontière. Il était pile à côté de moi, assis sur la chaise bleue en plastique de la cantine, minuscule. « Maîtresse M….? » J’ai tourné la tête, et il m’a dit d’un air absolument émerveillé, des gros-colis plein la bouche :« Je t’aime ». Avec un point final. Intonation de voix qui baisse. Énonciation de faits. Aucune demande derrière, si ce n’est re-avoir des gros-colis. L’amour universel.

Hier soir au portail, c’est Nela qui m’a fait le coup. Clés en main et claquettes aux pieds pour ce premier jour de 26°, je zieutais les arrivées de parents. Elle s’est approchée de sa mini-voix et j’ai dû tendre l’oreille pour entendre « Je veux te dire un secret ». Faut dire qu’elle me raconte peu de choses. Pour s’endormir à la sieste, elle met ses bras derrière sa tête et croise ses jambes en l’air. Elle dort comme ça, dans une position qui semble dire « Lâchez-moi, je bronze. » Alors, recueillir une confidence…j’ai un peu exagéré dans l’enthousiasme en répondant oui et en m’accroupissant pour être à la bonne taille. Elle a soulevé mes cheveux pour me dire calmement dans l’oreille « Je t’aime », d’une voix minuscule avant de repartir faire du vélo.

Au départ, « Je t’aime » est donc facile à dire.