Par la barbichette

Depuis ce début janvier, je dois parfois étrangement, lutter avec le rire. Devant moi tous les jours, une brochette sous pression, prête à décoller à la moindre occasion: l’air chassé d’une boîte de puzzle si on referme le couvercle très droit et qu’on appuie d’un coup; le pot de crayons rempli qui tombe par terre, et surtout, tout ce qui sort du corps.

Je vois en permanence leurs yeux à l’affût de l’accident, du sourire, de la fossette qui se creuse. Ils se scrutent puis m’observent pour voir si je craque.

Je dois avoir l’air sérieuse. Prestance scientifique pour évoquer la chute et ses dangers. Ton présidentiel, voire religieux pour dire qu’il faut, parfois, aller au toilettes.

Mais, ne jamais prononcer le mot. Sous peine de perdre la classe.

On est sérieux. On sait . On n’a pas besoin de le dire.

Le nez en l’air, ils guettent ma chute.

Une fois, j’ai voulu le dire vraiment, ça a dégénéré, j’ai perdu tout le monde. Pour cinq lettres et pendant un long moment. J’étais terrassée et je riais intérieurement.

Cette semaine, j’ai reçu une maman et son fils pour échanger sur la classe et pour évoquer aussi, ces rires, ces explosions en plein vol qui de temps en temps, perturbent vraiment le travail. Elle m’explique qu’à la maison, Azzedine raconte des blagues, joue beaucoup seul et ne s’intéresse pas du tout à la télé comme son frère. « Souvent, je regarde, j’en ai trois des enfants je compte, un, deux, hop ! Lui, il manque toujours, il fait ses trucs dans son petit coin ».

Azzedine prend la parole : « Maîtresse, tu sais la différence avec de la lune et ma belle-mère ? » On se regarde très brièvement avec la mère. Je vois ses yeux pleins de cette fierté et de cette retenue scientifique que je pratique aussi. Je ferme mon poing devant ma bouche et j’écoute d’un air concentré.

« La lune c’est un astre et ma belle-mère c’est un désastre. »

Il se lève, impassible et va ranger les légos. Il n’attend pas le rire.

Sa mère se penche vers moi et baisse la voix : « Vous voyez, quand je me rappellerai de son enfance je me dirai qu’il était déjà drôle ».