Désoeuvresdart

J’ai une classe-éponge insatiable, qui n’en a jamais assez. Cahiers, idées, papier, feuilles d’arbres, bâtons, chants, jeux. Ils absorbent et synthétisent tout. Ils ont des poux aussi. Ça ne s’arrête jamais.

Je leur montre régulièrement des œuvres diverses et variées en photo. On les commente, on donne nos impressions, nos avis.

Un matin de décembre, je suis passée au dessus d’une petite un peu couchée sur sa table, la main pleine de traces de feutres, noires et bleues. Je suis revenue de suite en arrière parce que d’habitude cette enfant dessine presque toujours des princesses. Roses, mauves, sucrées et brillantes. Une partie de moi a vu sans y croire ce dessin foncé et saturé avec quelques étoiles jaunes perdues dans le haut de la feuille. Alors je lui ai demandé ce qu’elle avait représenté.

Elle m’a répondu très vite et dans un souffle que c’était la nuit étoilée de Vincent Van Gogh. J’ai eu un choc physique, une sensation très courte de sol qui se dérobe sous les pieds. J’ai pu dire seulement « Ah oui ». On reconnaissait très bien le tableau.

Puis, cette semaine, une médiatrice du musée de la ville est venue avec de vraies œuvres, puisqu’on ne peut pas aller au Musée. Des enveloppes et des lettres d’artistes car nous participons à un projet sur l’art postal. A priori la Poste, ça devrait rester ouvert, dans l’océan de tout ce qui est fermé, alors je sais qu’on va pouvoir aller au bout.

Ethan a levé le doigt poliment et la dame du Musée lui a donné la parole. Il a dit que l’œuvre d’art qu’on voyait, lui, ça ne l’intéressait pas. Elle s’est un peu arrêtée et a demandé très gentiment pourquoi.

« Ben, en fait, ça me fait rien alors je trouve que c’est pas très intéressant. C’est joli mais je trouve que c’est pas très bizarre».

J’étais assise avec mes élèves sur le petit banc, presque en face d’elle. J’ai remarqué sous son masque qu’elle avait eu le petit choc physique, elle aussi.

Elle a répondu, impressionnée, que c’était vraiment super de parler de ses émotions et qu’on avait tout à fait le droit de ne pas s’intéresser à une œuvre si ça ne nous touchait pas.

Ethan a tourné la tête vers moi et m’a dit « Ben oui, hein ».