C’est le matin, quelques enfants sont arrivés dans la classe. Petit calme avant que le soleil ne se lève et qu’on tire les rideaux thermiques, posés par la Mairie. Un côté gris, un coté cosmonaute. En juin dernier, lors de la réunion pour l’entrée à l’école, un futur père d’élève de ma classe avait rigolé d’un air suffisant en les regardant. J’avais expliqué que c’était pour nous protéger de la chaleur. Il avait encore plus rigolé. Dans ma tête je lui avais proposé d’aller dans le privé, pour voir si c’était mieux les rideaux.
Douze mois plus tard, je ne me rappelle pas qui c’est et même en cherchant, je n’arrive pas à trouver qui pourrait dire ça parmi les parents d’élèves de l’année. Aucun ne se permettrait vraiment.
Un an de petite-section impose le respect et interdit à quiconque de rigoler des rideaux thermiques. Même si, en vrai, ça ne protège pas beaucoup.
Cette année, dont la fin pointe son nez, elle est comme ça.
Plutôt respectueuse et loin de ce que j’entends ailleurs, à la radio, ou plus près.
Même si la maman de Leïla me tutoie et m’écrit « salut ma belle » quand elle répond à mes mails. Je ne sais pas trop comment lui dire que c’est un peu embêtant. Elle s’est tellement détendue dans son rapport à l’école que j’ai peur de la bloquer. Alors je la laisse dire.
En décembre, j’ai acheté une petite maison en tissu pour la classe. Les parois sont faites avec une sorte de tulle, mais les enfants oublient et parlent comme si on ne pouvait ni les entendre, ni les voir de l’extérieur. Ils jouent à être moi, en feuilletant une encyclopédie.
« – Écoutez-bien, chu-te, je vais vous parler du grand livre apprendeur, qui va tout vous faire savoir ».
Bientôt vingt-trois ans, vingt-trois photos de classes. Et plus le temps passe, plus je me rends compte que je découvre de nouveaux espaces. Je cherche le minuscule, les chuchotements. Au fond du pot de crayon, du sac à dos et en bas de la feuille. Je n’en ai pas marre.
Tous les matins, avant de partir de chez moi, je feuillete le livre des 108 vœux* et j’en tire un au hasard.
Aujourd’hui : « Sur la balançoire, haut ou bas, que tu t’en balances. »
Je n’en ai pas marre.
*108 vœux, Mélanie LEBLANC, éd. Les Ventriers