Il fait encore nuit le matin quand j’arrive. J’allume les néons de la classe, j’accroche mon manteau près de la porte du jardin et je vois les trois poules de l’école arriver en courant, battant des ailes, me hurlant dessus comme si aucun humain n’était passé là depuis des mois. J’ai vu les premières grues passer dans le ciel et avec elles, l’idée que tout cela va bientôt prendre fin, ce gris et cette pluie.
À la récréation du matin, j’ai souvent la flemme de sortir à cause du vent, du froid, de l’humidité, mais je vois les enfants gratter des bouts d’herbe avec des bâtons entre les cailloux, tomber sur les genoux, escalader la montagne de la cour et parler aux mamies qui passent devant l’école.
Depuis quelques jours, Alan s’arrête en vélo devant moi et me tend un café imaginaire. Deux, trois fois par récréation. Si je dis oui, même au troisième, il fait l’effaré mais repart au percolateur du toboggan avec un immense sourire.
Clara est venue me voir dans la classe pour me dire qu’elle avait fait une peinture et que c’était vraiment catastrophique. C’était un portrait de femme, avec des cheveux bleus dessinés trop longs et que là maintenant ça empêchait de peindre le reste du corps. J’ai expliqué que les cheveux très très longs pouvaient exister et que si on rajoutait les chaussures en bas des cheveux, on pouvait imaginer le corps, même sans le voir et que c’était pas si catastrophique.
Je venais de rencontrer Clara et sa maman la semaine d’avant. On avait parlé, entre autres, des « activités ». Comme la danse, la musique. De faire des choses seule, sans sa mère, sans sa fille. Mais la mère de Clara, ça la stresse que sa fille fasse des crises en public, si jamais l’activité ne lui plaisait pas, par exemple.
Du coup, elles n’en font pas. Pour le moment. Ni la mère, ni la fille.
Solal a quitté la classe il y a quelques jours. Il a déménagé et il faut prendre l’avion longtemps pour aller chez lui. Le soir de son départ, j’avais un truc accroché à ma veste et je m’en suis rendu compte seulement en rentrant chez moi le soir.
C’était son étiquette-prénom qui avait glissé de ses affaires et s’était scratchée à mon pull.