Le peu

En rentrant de récré le matin, on mange un morceau de fruit. Fruit, amené par une des familles de la classe, à tour de rôle. Mais parfois, personne n’y pense, surtout en revenant de vacances. Alors en partant de chez moi, au cas où, j’ai mis une grosse poignée de baies de Goji dans une toute petite boîte. Ça ressemble à un raisin sec, mais rose ou rouge, légèrement plus allongé, moins sucré, un peu acidulé. Ça a mille vertus, un prix exorbitant et une empreinte carbone sans doute remarquable.

Avant la récréation, j’avais sorti la grosse artillerie, j’avais montré la boîte contenant les petits fruits, sans l’ouvrir. De retour tous ensemble, ils attendaient l’ouverture de ce pavé en plastique comme la révélation d’un secret d’état. J’ai distribué à chacun un minuscule fruit en demandant bien de le garder dans la main, de le regarder, de très près même, de le sentir, de le presser, de penser qu’on allait le manger et d’attendre avant de le mettre dans sa bouche, que tout le monde soit prêt. Après une bonne minute de silence explosif, tout le monde l’a goûté. Certains auraient bien aimé aimer, mais n’aimaient pas. Les autres en voulaient déjà un autre. Mais aujourd’hui, non, c’était beaucoup d’attente pour une toute petite baie. Et c’était délicieux, forcément.

La sentence est tombée un peu plus tard à la cantine. Clarissa m’a regardée d’un air désespéré et m’a dit « Maîtresse, pourquoi y a tout le temps des carottes? »