Pinocchio

Le père de Solal est un peu patibulaire. Quand il dit bonjour, j’ai toujours l’impression qu’il va me sortir un mandat de perquisition ou un rappel des impôts. Non, là, il a vaguement souri mais ça faisait peur quand même. Solal est arrivé en courant le doigt en l’air comme un gyrophare avec un pansement au bout de l’index. Et son père m’a littéralement craché qu’il s’était coupé sur mon toboggan et que ma collègue lui avait mis un pansement. J’avais à peine ouvert le portail, j’ai répondu une sorte de « Ah bon ». Et j’ai aussi pensé à la posture du pigeon au yoga. La position qui te fait sentir tous tes muscles et qui t’apporte la paix intérieure.

A l’entrée de la classe, Solal a reparlé de son doigt et son père a reparlé du toboggan. Puis Solal a reparlé de son doigt puis de la maison où il s’était coupé le doigt. Noyée dans le flot du matin, cette anecdote n’avait rien d’incroyable. Et puis, il y avait d’autres gens à saluer, d’autres bonjours à arracher, d’autres « guili-guili » sous les bras à faire.

Plus tard dans la matinée, le pansement du bout du doigt s’est décollé et Solal est revenu me parler de la petite coupure du bout de l’index. De près, un mini trait rouge quasi imperceptible. On n’allait pas y passer la matinée non plus, alors je me suis résignée à écouter l’histoire de A à Z d’un air passionné.

« Beh tu vois, je me suis mordu le bout du doigt dans la cuisine et ça m’a fait une petite coupure. Et comme on arrivait à l’école c’est papa qui a dit que je me suis coupé au toboggan. Mais c’est pas vrai, tu vois. C’est à la maison. Il a menti papa tu vois. »

Solal a levé les sourcils en écarquillant les yeux avec un immense sourire, et il est reparti avec l’air malicieux de celui qui a tout compris, avant la fin du polar.