Souffle

Souffle

Visite des gendarmes, patrouilles de police, vérification des registres de sécurité, des serrures, des portes, des portails, des baies-vitrées, des fenêtres, des noms des gens qui possèdent les clefs et les doubles. Combien de doubles. Visualiser les parents. Ouvrir très vite la porte. Empêcher les enfants de sortir. Ouvrir quand même. Laisser passer. Vérifier qui entre et qui sort. Ne pas faire sauter les clefs dans sa main, comme un gardien de prison. Retrouver l’écharpe, la deuxième chaussette, le bon sac à dos Peppa Pig, le bon adulte qui va avec le bon enfant.

Lire la brochure du Ministère sur la conduite à tenir en cas d’intrusion: « Comment se cacher et se barricader dans les classes? […] Pistes pour apprendre à se cacher […] Il parait difficile de se barricader avec le mobilier de petite taille des salles de classes de maternelles. » Il faut être honnête, des gens qui savent sans doute aller tous seuls aux toilettes, ont vraiment réfléchi, et produit des documents pas trop idiots. A l’exception du conseil suivant: « Rester sur l’idée du jeu. Éviter de mimer la réalité en choisissant par exemple des bruits d’explosions comme déclencheur de l’exercice. »

Ou alors nous sommes les idiots.

Vient ensuite le moment où il faut le fairparc2e pour de vrai, et ouvrir un peu la porte à ce qu’on laisserait bien dehors. On s’exerce alors à être calmes ensemble. Plus de trois minutes. A vingt-trois. Vingt-trois de trois ans. On écoute de la musique, allongés par terre. Mais ce n’est pas la sieste, pour les plus suspicieux qui imaginent une fourberie de maîtresse.

Ce matin, j’avais envie d’écouter ce morceau de Mozart parce que je vois l’envol qui va avec, dans le ballet de Prejlocaj. Et c’était calme. Il y avait de l’émotion dans la classe. Personne ne se tirait les cheveux ou ne se lançait les boulettes de pâte à modeler laissées au sol. J’ai pensé à ce porté et à ce que ça donnerait là, devant moi, maintenant, au milieu des enfants et des meubles. Il faisait beau, j’étais au spectacle. A droite, je tenais la main de Momo qui tripotait une breloque de ma bague. A gauche, Mounia qui se collait à mon mollet. Et d’un coup j’ai aussi pensé aux attentats. Et que les enfants n’y pensaient pas, eux. C’était un moment imprévu et étonnant. Puis Mounia qui parle toujours très fort s’est approchée et m’a dit: « Maîtresse, c’est fort ». Fort. Et elle m’a fait sa grimace: loucher en levant les sourcils. C’était la vraie fin du moment calme.

https://www.youtube.com/watch?v=i7nw58aJXN8