Ils sont tous très sages, assis sur leur petit banc de moyenne section. Des pieds se balancent dans le vide sans toucher le sol, on a laissé les chaussures et les manteaux dehors pour ne pas abimer le tapis de danse.
En face, deux danseurs à la barre, qui nous ouvrent la porte de leur quotidien, un homme et une femme. Ils travaillent depuis plusieurs minutes maintenant, se donnant tour à tour des consignes incompréhensibles pour le commun des mortels: « Ok, on passe aux attitudes, puis série de dégagés, mais vraiment moelleux sur le toucher ». Ils se montrent l’un à l’autre à l’aide des bras, ce qu’ils vont danser avec les jambes, enlèvent peu à peu des couches de vêtements et boivent beaucoup d’eau. Les enfants regardent comme s’ils étaient au zoo devant les flamands roses ou les pandas.
« T’as vu maître, le garçon il a un collant et la dame, elle a un jogging, c’est bizarre. » Ils transpirent et malgré la musique, on entend leurs souffles, le frottement des tissus et le bruit des chaussons sur le sol. Leurs corps se reflètent dans le miroir contre lequel les élèves sont appuyés. La classe de maternelle toute entière est invisible pour eux, ils regardent à travers pour se voir. Les petits sont hypnotisés et ne disent presque plus rien, transpercés par ces deux regards si sérieux. Bouches ouvertes, yeux écarquillés et seulement quelques orteils qui bougent dans des chaussettes Superman.
A présent, leurs corps dégoulinent et commencent à sauter dans l’espace, frôlant de plus en plus près le banc des maternelles. Mais les petits ne peuvent plus se retenir, ils poussent des soupirs et des cris d’émerveillement comme pour un feu d’artifice. En face, la concentration part en fumée. Les deux danseurs sourient, puis sont obligés de s’arrêter. Parce qu’ils rient trop et n’y arrivent plus.