S’ils avaient le choix, les enfants souhaiteraient devenir découpeur de poisson pané, fabricoeur de paillettes ou gonfleur de pneu. Des métiers qui n’existent pas. Pas sûr, en fait.
Parce qu’hier j’ai rencontré une choréologue, et là, j’ai repensé au poisson sans arrêtes, aux paillettes brillantes et aux pneus ronds. Je m’étais souvent demandé comment on faisait pour se rappeler de la danse. Des dessins avec des flèches ? Des textes ? Il y a une réponse et il y en a même plusieurs.
Si le corps entre dans les cinq lignes d’une portée de musique, il suffit de représenter les pieds par un trait, les mains par un autre, les danseurs par des points, les objets par un symbole, et enfin les mouvements qui relient tout cela par des lignes. Rajouter des temps et autant de lignes qu’il y a de danseurs. Quasiment facile, de l’extérieur. « La partition c’est l’arrête du poisson». C’est ce qu’elle a dit la choréologue.
Elle a continué et la suite, on aurait pu la transposer en CP. « Il faut savoir pourquoi on écrit la danse, est-ce que c’est pour transmettre ? Pour travailler ? Pour remonter un spectacle ? […] En danse aussi, il y a une grammaire et une syntaxe, on peut écrire les mouvements, c’est très long mais on peut tout coder, même la qualité du mouvement ou l’énergie. Et là chacun ses recettes… » Une nouvelle langue bizarre, technique et poétique à la fois, qui s’écrit avec des lignes, des points, parfois des lettres. Plusieurs heures de travail sur la partition, pour quelques minutes sur scène.
Le soir, je suis allée voir un ballet, dont elle nous avait parlé pour expliquer son métier. Je l’ai vu d’un autre œil certes, mais surtout parce que j’avais une place bizarre, en hauteur, sur les côtés. Une place « école » c’était écrit sur le billet, une place où pour tout dire, on ne voyait pas grand-chose, sauf à se tordre, le cou, la colonne, la taille. Une place payante, comme tous ceux qui étaient assis, face à la scène, eux. Les vrais spectateurs. Hasard ? Sans doute.
Je voyais très bien, l’envers du décor.
Le visage des danseurs quand ils se jettent au sol et qu’en fait, ils ne sont pas morts. Les marques de sueur qu’ils laissent sur la scène quand ils se relèvent. Le rideau des coulisses fermé par le dernier qui sort de scène.
Et tout ça, écrit à la main sur des pages et des pages, parce que le logiciel, parait-il, n’est vraiment pas pratique.