Quand j’étais petite, ma grand-mère nous lisait des histoires quand on était enfin couchés, dans les lits superposés de la maison de campagne. Elle ne commençait à lire qu’à une seule condition, qu’on soit « prêts », c’est à dire calmes, avec le recul. Elle avait un livre mystique : « Comment raconter des histoires à nos enfants ». Et ma préférée c’était celle du collier de vérité. Ça parlait d’une petite fille qui mentait tout le temps.
Ses parents l’emmenèrent voir Merlin, qui lui offrit un collier, sans rien dire d’autre. Ensuite, la petite fille repartit chez elle mais tout se transforma dans sa vie. Le collier s’animait, dès qu’elle mentait. Gros mensonge, il s’allongeait, omission, il rétrécissait. Travestissement de la réalité, les pierres perdaient leur éclat.
C’était mon histoire préférée et je la redemandais tout le temps.
Ce soir, dans le réfectoire de l’école, il y avait des élus, des parents, des bébés qui pleurent, un enfant qui balance ses pieds. Tout était très préparé, les chaises savamment installées en arc de cercle, un écran et des haut-parleurs qui relayaient, très fort, la parole de celui ou celle qui était « au tableau ». Un architecte a parlé en premier, présentant les futurs travaux de l’école. Il a commenté des plans assez longtemps et à un moment, il avait l’air de ne plus réussir à reprendre son souffle. L’écouter, ça me donnait envie de respirer à fond en bloquant l’oxygène quelques secondes en bas des poumons avant de souffler.
Il a passé le micro à quelqu’un, puis on lui a passé un verre d’eau.
La présentation était touffue, et les présentateurs un peu stressés, mais habitués à stresser et faire comme si de rien n’était. A dire aux gens qui s’énervent : «Je peux vous répondre, si ma réponse vous intéresse.» Et là les gens se taisent.
D’un seul coup, il y a eu un bruit étrange. Un bruit qu’on connaît, mais…on n’arrive pas à remettre un nom dessus. On cherche dans ses souvenirs. Tout le monde cherche dans la salle et il y a un grand silence, comme quand il commence à neiger. Tout le monde se regarde deux secondes pour « savoir d’où ça vient ».
Une petite voix s’élève, c’est la dame la plus importante de la réunion. D’un seul coup, on voit comment elle était à cinq ans et elle dit « C’est mon collier qui s’est cassé ». L’instant d’après, les élus, les parents et les enfants sont accroupis en train de ramasser les perles et les fleurs du collier sur le carrelage de la cantine. Carrelage des années 50, très intéressant, dixit l’architecte.