7h04, le compresseur des ouvriers du chantier d’à côté se met en route. Le voisin fait construire et c’est le jour du crépi. Je sors, un des ouvriers me salue et s’excuse en souriant, à cause du bruit. Il a déjà de la poussière partout et il me hurle : « y a bien un jour où on balance la sauce ! » en levant les sourcils et en tournant la tête vers le mur de la façade. Je lui souris, avec mon sac sous le bras et je pars vers la réalité professionnelle du jour : trop de réunions. Une en équipe, une deuxième pour parler de cirque, une troisième autour de la musique, la dernière au collège. Celle d’après, l’officieuse, sur le trottoir. Pour parler de tout ce que l’on n’a pas pu se dire tous ensemble.
Depuis quelque temps j’ai remarqué que beaucoup de collègues me parlent de ce qui ne va pas dans leur quotidien au travail. Je vois beaucoup de gens différents, toute la journée, et eux me voient de temps en temps, pas longtemps. Je reçois leur mails, j’y réponds, j’appelle parfois, alors quand c’est une vraie rencontre, c’est souvent un moment où on se « cale », un des mots les plus utilisés du moment. On change tout, on cale tout.
« Je suis calée – Faut que je décale ce temps de travail – On n’est pas calés là – C’est complètement décalé cette attitude – Non, mais cette scénographie, c’est vraiment décalé – C’est surprenant, c’est décalé – Il est pas calé dans les clous – Non mais, y a du décalage c’est indéniable »
Alors, chacun raconte. Le parent qui ne lui parle pas, le temps qu’il n’a pas avec les élèves, les injonctions contradictoires du système, les réunions qui se multiplient, les collègues étranges, les équipes trop grandes, les écoles trop petites, les toilettes trop loin, l’absence de papier. La plainte se termine souvent par un « Non, mais ça va quand même hein… ». Ne pas trop donner son avis, ne pas trop absorber, ne pas trop se justifier, répondre quand même, savoir s’il y a une question, ou si c’est juste une plainte. Est-ce qu’elle est adressée, ou lancée… et retombe sur celui qui passe par là.
Après la dernière réunion, un collègue est venu me voir pour reparler d’une situation qu’il ne comprend pas et qu’il a un peu en travers de la gorge. Il m’explique, nous ne sommes pas trop d’accord, mais je vois qu’il reste calme et moi aussi. Nous arrivons à échanger et je trouve ça bien. 19h, il conclue : « Bon voilà, c’était juste pour que tu aies mon ressentiment sur cette question.»
J’arrive chez moi. Les ouvriers ont rangé les bâches, les échafaudages, les seaux. Il y a des éclaboussures partout sur les vitres.
Tout est bien calé.