Mot compte triple

Mot compte triple

Depuis peu, je suis devenue grande.

La preuve, c’est que dans ma classe il y a des grands, et quelques moyens aussi. C’est la nouveauté de la rentrée.

Un an à cet âge, ça compte double. J’avais oublié leur vitesse et leur répartie.

Pour fêter la rentrée, on a écouté une chanson non enfantine. Les p’tits papiers, de Régine. Ça les a impressionnés. Ils voulaient tout savoir, l’écouter plein de fois, brûler du papier d’Arménie, voir du papier glaçon et savoir pourquoi Régine était morte. Alors ils m’ont demandé qui l’avait tuée et si elle avait une maison. J’ai dû entrer dans les détails, à savoir, qu’elle était morte seulement parce qu’elle était très vieille.

Déception palpable dans l’assistance.

Alors le soir, on écoute les p’tits papiers avant de quitter la classe. Je sais qu’ils vont me le demander.

Et ils me le demandent.

Ensuite, le silence revient, ça bourdonne presque d’avoir autant de calme d’un seul coup. Je range à mon tour des petits papiers. Papier d’assurance, papier Canson, papier brouillon.

Je prends mon vélo et je pars. Il pleut, je me mouille et je vais récupérer un colis. À quelques jours de la rentrée, j’avais farfouillé sur le bon coin pour trouver des petites lettres type scrabble, pour écrire des mots. De préférence jolies, avec déjà une vie derrière elles, c’est encore mieux.

Le colis m’attendait, stocké tout au fond d’une cordonnerie. À peine arrivée chez moi, je déballe le paquet.

Et là, j’ai l’impression d’avoir fait le casse du siècle.

La planche à billets, le magot.

Une quantité exceptionnelle de A, M, F, T, E j’en passe et des meilleures.

Nous avons encore perdu notre ministre, au moins pour quelques heures. Pas grave, j’ai du matos.