Cela fait plus d’un an. Je n’ai pas besoin de compter, je le sais très bien que je n’ai rien écrit. J’attendais que ce soit plus facile mais finalement, ce moment n’arrivera pas. Il y a des histoires de vie pas drôles, assez désespérées et qui allument un gyrophare intérieur à tous ceux qui s’en approchent
Comme celle de Redouane.
Je me disais que j’en parlerais à un moment, après, plus tard.
Après quoi ? Je ne sais pas, alors c’est maintenant. Pour pouvoir ensuite reparler des autres.
L’année passée s’est écoulée comme un combat où tout le monde perd quelque chose, à première vue.
Redouane souffle quatre bougies dans ma classe.
J’enlève de la pâte à modeler de son oreille, avec un pic à brochette, c’est interdit. Mais il est en panique, j’imagine sa mère aux urgences et je tranche. Je lui dis très fermement « Maintenant tu ne bouges pas et on l’enlève ». Il ne bouge pas, je pense à l’Inspecteur. A la fin de l’opération, Redouane me dit « Fais voir !! » et je lui montre le pic à brochette avec toute la pâte à modeler.
La balle a été extraite docteur.
Je me dis que j’ai de la chance d’avoir déjà foncé dans le mur avec des situations analogues.
Il me crache dessus. Il dit salopes aux morceaux du puzzle des animaux de la forêt, qui ne veulent pas s’emboîter, ces connards.
Il renverse une boite de punaises en me regardant droit dans les yeux, je lui demande de ramasser et je tiens. Il se roule dedans en hurlant parce que ça pique. J’enlève quelques punaises enfoncées dans sa peau et je dis « Maintenant tu ramasses ». Il ramasse.
Je suis fatiguée.
Sa mère m’offre un petit vase rouge avec du muguet, de Lidl. Parfait pour les fleurs solitaires que les enfants nous ramènent du chemin de l’école. Celles qui tiennent une matinée.
Il me parle de la dame du comportement qui vient à la maison pour voir comment ça se passe. Il m’en parle beaucoup.
Il s’introduit souvent dans les classes quand ça sent le gâteau, pendant les récréations. Il attaque ce qu’il trouve, à pleines mains, direct dans le moule à cake.
Il a de l’humour, un jour il s’approche en faisant un grand sourire, les dents toutes noires. Il s’est mis de la gouache partout dans la bouche. Je me fige deux secondes en me demandant ce que c’est, il répond d’un air apeuré que c’est de la peinture pour te faire rire maîtresse. C’est drôle mais il faut se rincer la bouche.
Je le retrouve plusieurs fois trempé de la tête aux pieds avec de la terre et de la boue partout, jusque dans les yeux, une récré entière à sauter dans la boue, à chercher du regard l’adulte qui viendra l’arrêter. Celui à qui il hurlera : « Dégage toi !!! », mais qui sera venu.
Il se cache en bas d’une armoire dans un couloir, mais il prend des castagnettes avec lui et les fait claquer pour qu’on le retrouve.
Je trouve la vie dégueulasse.
Il déchire le travail quand c’est un peu réussi.
Parfois, ça va et il a l’air bien dans la classe.
La fin de l’année arrive, je le ramène au portail, il part quelques jours avant les autres.
Il me regarde et se colle à moi d’un coup. Une fois. Je dis « Bonnes vacances Redouane». Il recommence. Je dis à l’année prochaine. Troisième fois. Sa mère s’étonne: « Ah ben, c’est pas souvent qui fait ça ! ».
Je ne peux plus parler, je referme le portail et je pense au petit vase rouge de Lidl.