Quatre-vingt-douze

Le premier jour d’après est enfin revenu.

Je me suis réveillée avant l’heure prévue, comme une rentrée. J’avais envie que ce soit banal, qu’on ne se lave pas trop les mains, qu’on n’en parle pas trop. Alors la journée a été normale et contenue comme une joie trop grande. Mes quelques élèves ont hérité d’une petite table individuelle. J’ai essayé de trouver une plante pour chacun, un peu de vie et de terre pour salir les bureaux.

J’ai préparé des chaises en rond. On s’assoit dessus pour se retrouver, dire des poésies, chanter, se parler.

D’habitude, le matin, on enlève toujours les petites feuilles de l’éphéméride. (Je me rappelle encore quand je l’ai acheté. J’avais eu du mal à en trouver un « neutre », sans blagues de mauvais goût).

On s’était arrêté en mars.

Alors, je rattrape ce temps passé, je les sors tour à tour de la petite boite où elles sont comprimées. Il y a une sorte de ressort, de pression, qui les amène toutes automatiquement bien en place au devant de la boite. Les journées sont toujours infatigables, prêtes à démarrer, bien lisses et bien repassées. Je lèche mon doigt pour aller plus vite. Je pense aux gestes barrières.

Étalés au sol, à nos pieds, les papiers forment maintenant une immense spirale.

92 petites feuilles.

Je suis debout, coincée au milieu. Je me relève et Adel me dit que ça fait beaucoup de feuilles de temps.

A la fin de la journée, je les ramasse et je les accroche ensemble avec une pince Totoro qu’on m’a ramenée du Japon, puis je les pose sur le bord de la grande étagère. Je n’ose pas les jeter comme ça, dès le jour où tout recommence.

Le lendemain, j’enlève une seule feuille.

Celle de la veille.