Gladys est dans ma classe depuis deux ans. Sa famille est très abimée. Ses parents sont gentils et assez méfiants. Ils font tout bien, ou tout comme ils peuvent. Ils sont aidés, je le précise. Mais est-ce suffisant?
Ils signent les mots, regardent les cahiers, répondent aux rendez-vous. Il faut y aller mollo avec les remarques parce que c’est blessant pour eux, je le sais. Mais il y aurait presque tous les jours quelque chose à leur dire. Collants trop petits, jupe trop grande, vêtements pas assez chauds, ça ne va quasi jamais, malgré les paillettes. Et quand ça va à peu près, c’est boutonné en décalé, ou sale. Ça sent la cigarette, la friture ou l’urine de chat. Ou les trois. Et Gladys a des poux en continu. Mais beaucoup. Je n’aurais pas imaginé si je ne le voyais pas régulièrement. Elle marche souvent sur la pointe des pieds, on dirait qu’elle va tomber, elle est décoiffée, tout pendouille, même elle.
Cette semaine elle est arrivée en bus à l’école avec d’autres enfants. Quelques minutes après, une dame m’a apporté le sac à dos, oublié dans une autre école. Elle le tenait du bout des doigts, j’ai trouvé ça assez dédaigneux, mais ensuite j’ai compris. Il était dégoutant et il sentait très mauvais. A l’intérieur, son doudou, un lapin mignon.
Je suis allée voir Gladys. Elle parle souvent de son chat et j’ai dit qu’il avait sans doute fait pipi sur le sac, et que j’allais tout mettre dans la machine à laver et le sèche-linge de l’école. Je lui ai expliqué parce que laver un doudou et lui enlever son odeur ça ne se fait pas. Je n’ai pas insisté car Gladys n’est pas dupe des enjeux violents de ce lavage à la marge. Je le sais très bien.
Que faire? Lui laisser ce sac en l’état? Au vu de tous? J’ai tranché pour non.
Le soir aussi, j’ai expliqué à la maman. J’ai tout mis sur le compte du chat. Je continue à leur parler, quand je peux, en essayant de ne pas casser le mini fil de confiance qu’ils gardent envers les institutions. Sinon, tout sera perdu.
J’ai vu Gladys repartir avec son sac propre qui sentait bon la lessive. Et c’était dégueulasse.