Plaire

À l’école, on est comme des agriculteurs. On parle déjà du septembre suivant, alors que l’été n’est pas encore commencé. On regarde tous les jours la météo, pour savoir si on va jouer dehors, s’il faut mettre les manteaux, si on peut rester en tee-shirt, si les vacances sont loin, si on aura le temps de faire ce qu’on a prévu, si les gouttières débordent. En classe, on demande quel jour on est, si c’est bientôt le soir, si les pères et les mères reviendront, ou si demain ce sera la maison.

Abdou a grandi, et je ne comprends toujours pas trop ce qu’il dit. Quand on travaille tous les deux, je lui demande de répéter parce que je ne suis pas sûre. Il me regarde et me répond d’un air agacé qu’il vient de me le dire. Ça, je comprends. Après la sieste, il arrive dans la classe vers 15h, encore endormi, toujours heureux, et me demande d’un air suspicieux où j’ai mis ses peintures. J’explique qu’elles ne sont plus sur la ficelle en train de sécher, qu’elles sont rangées dans la pochette pour la maison. Il préfère ça. Il aime comprendre le monde qui l’entoure.

Il peint et tient son pinceau en levant le petit doigt. Il regarde la feuille de très près pour voir ce qui se passe sur le papier. D’un seul coup, il fait un saut en arrière, se baisse, fronce les yeux et s’approche de son œuvre. On dirait un escrimeur qui lance son épée. Il le fait pour lui et pas parce qu’on le regarde. Mais je le regarde en cachette.

Il est émerveillé par tout ce qui est nouveau. Il me montre ce que j’ai installé dans la classe, au mur ou au plafond, comme si c’était arrivé là par magie. Il dit « C’est beauuuu », en faisant traîner, jusqu’à ce que je dise que oui. Et là, il en rajoute « Ah oui, hein ». Le beau semble partout. Dans la poule sur le rebord de la fenêtre. Dans les perles coincées sous l’armoire. Dans le nouveau camembert en bois de la cuisine de la classe. Une commande spéciale. Huit parts d’arbre au lait cru, découpées à la scie à chantourner.

Et ça aussi, c’est beau. Ha oui, hein.