La mère de Mounia est sympa. Elle vient souvent en pyjama à l’école, parce qu’elle est un peu débordée par sa vie. Mais elle prend toujours le temps de lire le menu avec sa fille, même quand elle est en retard. Parfois, je dois attendre pour refermer derrière elle et ça m’agace un peu. J’entends que ça pulse pas mal dans la classe et je suis dehors, dans le couloir. Elle, elle lit. « Alors, coquillettes. Ah c’est bon ça les coquillettes. Tu aimes ma fille. Ah, saucisses de volaille. Ça c’est bon aussi. Alors en dessert. Tiens, y a de la compote. C’est bon ça, la compote. Ah, on a oublié l’entrée. Alors, en entrée… Ah, radis. Ça pique un peu les radis ma fille. Mais c’est bon ça les radis.Tu aimes les radis? » Elle dit ça très calmement, alors qu’on est pressées. « Oh, là, là, pardon, je m’en vais. »
Elle ne jette pas sa fille à l’école. Elle l’amène jusqu’à la classe. Ne fait pas retomber le retard sur elle avec un tu vois, c’est que je te dis, faut se dépêcher plus.
La semaine dernière, elle a failli accoucher à l’école. Elle a demandé si elle pouvait s’assoir sur le banc de l’entrée parce qu’elle avait des contractions. Elle était désolée. Nous aussi. On lui a dit en plaisantant de repartir à la maternité tout de suite. Elle en était sortie, parce qu’elle ne savait pas qui allait venir chercher Mounia. J’ai pris le téléphone et avec elle et les collègues, on a cherché quelqu’un qui pourrait venir. On s’y est mis à quatre. Elle a dit: mon frère. Il est venu rapidement. On les a accompagnés à la voiture en faisant promettre qu’ils partent direct à la maternité.
Le lendemain, Mounia est arrivée avec son père. Il l’a déposée dans le couloir. Elle m’a demandé ce qu’il y avait à manger le midi. Je lui ai fait tout le menu, le plus lentement possible. Elle tripotait mon pull pendant que je lisais. On est parties dans la classe. Un peu en retard.
Le soir, sa mère a laissé un message sur le répondeur. Elle disait qu’elle avait accouché, par voie basse, avec péridurale, d’une petite fille, son prénom, de 3,7 kg, que tout s’était bien passé et qu’on ne s’inquiète pas si on trouvait Mounia bizarre parce que ça allait lui faire des perturbations. A la fin du message, elle a dit « Bon, ben voilà. Bisous. »
Je l’ai imaginée en train de nous appeler, de nous laisser un message, dans sa chambre, quelques heures après son accouchement. J’ai rappelé. Répondeur. L’École publique lui a laissé un message personnel.