Plongée

Il y a les rapports de stages qui sont bourrés de fautes et dont le massicot a scalpé toutes les majuscules. Et ceux qui ont des pages d’annexes, des photos « Impression Laser » sur du papier 90g. J’en ai huit sous le bras. Les collégiens qui les ont écrits sont allés là où ils voulaient, là où ils pouvaient et aussi, avouons-le, là où on les a finalement acceptés.

Tribunal, usine de matériau, commissariat, centre équestre, école, photographe et j’en passe. Huit collégiens et leur première approche du monde du travail. « Au départ, je voulais faire mon stage à la ménagerie d’un cirque ou au zoo de Vincennes, mais comme ils prenaient pas de mineurs, j’ai demandé dans une école et ils m’ont acceptée ». Ils sont partis en stage juste une semaine, et ils avaient tous peur de ne pas savoir, peur de parler, de parler aux gens, de parler au patron, d’être trop timides, d’être hyper stressés, d’être trop quelque chose ou bien pas assez.

José a choisi l’entreprise de son père « parce que dès le départ on était presque sûrs qu’ils m’accepteraient ». Dans la même classe, Paul écrit bien fort au bic que « le stage c’est pratique pour choisir la voie propice à son rêve et à la conviction de sa réussite ».

Au fil de la lecture, on apprend que le père de Paul lui avait fixé des objectifs, que toute la famille cherchait et que « personne n’a baissé les bras ». Quand le Commissariat lui « ouvre ses portes », on le sent fier comme pas possible. Il raconte sa découverte des affaires familiales « inconcevables » : les coups, les viols, les incestes. On sent poindre la vocation, en tous les cas l’admiration pour ceux qui côtoient la misère sociale. On lit aussi que « les prostitués qui travaillent dans la rue aident la police à arrêter les dealers parce qu’elles voient tout ce qu’il se passe et qu’elles leurs donnent plein d’informations, donc ils les laissent travailler tranquille ». C’est officiel.

José lui, finit sa semaine à la compta et relate que « tout était facile car on ne lui a rien demandé à part observer» et que « dans un lieu professionnel, on ne peut pas s’arrêter car le travail se multiplie d’heure en heure. Le travail demandé c’est trop pour une personne, mais on doit s’appliquer pour le faire quand même. »

C’est naïf et souvent émouvant, voire drôle. Mais au delà de la citation, c’est le monde du travail qui en prend pour son grade. Une des filles écrit qu’elle a l’impression de quitter le monde de l’enfance pendant une semaine et d’entrer dans celui des adultes. Et les adultes qu’elle rencontre, elle leur demande de parler de leur travail.

Et ils parlent de leur enfance.

Du divorce de leurs parents qui leur a fait arrêter les études, et choisir par hasard une autre voie. Celle d’un loisir qui s’est transformé en passion, puis en métier.

Merveilleux accident d’orientation.