Petite, je détestais les maths. Ou disons que j’ai seulement le souvenir du soulagement qui allait avec la réussite. La moyenne à un exercice, les points pas perdus au bac, la fin de l’obligation à la fac. Le « Ouf, c’est passé pour cette fois ». Comme quand on est un adulte et qu’on n’est plus obligé de manger du céleri-rave, du fenouil, des poivrons cuits, si on n’a pas envie. Alors, les mathématiques, les faire aimer aux autres, les expliquer, aider les élèves à comprendre, c’est un défi personnel. Quand je les vois sécher, je me vois aussi à leur âge.
Les maths, c’est comme un océan plat, avec des baïnes. La classe avance, petit à petit, et d’un coup, y en a un ou une qui commence à se noyer. Mais bien sur, il essaie de se cacher, il lève rarement la main pour crier qu’il ne comprend pas. Il faut le trouver, débusquer les yeux baissés, les regards en biais et ceux qui s’enfoncent discrétos dans leur chaise. Heureusement, certains avant nous ont beaucoup réfléchi aux nombres, à ce qui se passe dans la tête des élèves et comment tout ça prend forme. Moi, ça me sauve. Et, là avant les vacances, ça a été un peu fou. On a joué au rouleau des nombres, un jeu proposé par des chercheurs. Il fallait construire des rouleaux de papiers, hypers longs. Coller des bandes de brouillon les unes aux autres. Icham d’abord, il m’a dit qu’il aimait bien quand les trucs « ça resservait », comme le papier. Moi aussi, j’aime. Je leur ai dit qu’on allait essayer d’aller le plus loin possible, de faire la plus longue bande qu’on pouvait, et qu’on pourrait rajouter des bouts de papier s’il en manquait. Parce que bien sur, ils ont demandé. Là, pour certains, ça a été le déclic, de savoir que « les numéros ça se finissait jamais ». On a recommencé un peu tous les jours de la semaine, ils étaient pédagogiquement surexcités, ils ne voulaient plus arrêter, même ceux qui rament, même ceux qui baillent, même ceux qui peinent. Tous. Ils ont adoré. Et moi aussi, j’ai vraiment aimé les maths avec eux.