Gabrielo a cinq ans. Un cow-boy de la grande-section. Il marche sans poser les talons, les bras le long du corps, légèrement écartés. Voix cassée, dents cariées. Il porte souvent des joggings fluorescents dont dépasse le bas de son body déboutonné, qu’il n’a pas rattaché. Avec ma collègue, on se demande jusqu’à quel âge vont les « bodys pour bébé ». Quand sa mère l’amène, il arrive assis, royal, sur une poussette dont il n’a pas du tout besoin et il franchit le nouveau portail de l’école comme un président au salon de l’agriculture. Il adore rapporter et aussi mettre des coups de poing aux autres. Une récré avec lui, c’est souvent usant. Il vient tout le temps se plaindre, suivi de près par ceux qui viennent le dire de lui.
Il y a quelques jours, je l’entends hurler, près de la maison en bois de la cour. Je m’approche pour voir ce qui se passe. Il se balance en beuglant Alléluia en continu, pouces en l’air, index pointés devant lui comme un rappeur des années 80. Je repense à la formation sur la laïcité de la veille.
Je lui demande quand même ce que c’est alléluia car, dans le fond, je n’y connais rien. Il me regarde d’un air dédaigneux en me disant: « Ben c’est la fête, là ! ». J’ai l’impression très nette que je ne suis pas invitée à la boum des troisièmes.
Ce midi, il est assis sur un banc dans la cour, quelqu’un lui a demandé de rester là, à réfléchir.
Je l’observe un moment. Et d’un coup, je dois me rendre à l’évidence. Il me fixe droit dans les yeux, en rigolant et en tirant sur une cigarette invisible.