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Désolée, non. On n’aime pas tous les enfants de la classe. Il y en a même qui nous passent partout. Leurs voix, quand ils s’approchent ou qu’on les entend de loin, quand ils nous parlent, quand ils nous collent. Ils nous collent souvent d’ailleurs. On fait tous les efforts du monde, mais ça ne sert pas à grand chose. On ne les aime pas trop, voilà.

Parfois on ne sait pas trop pourquoi et c’est le plus culpabilisant. Car bien sûr, c’est mal. Mal sans raison. Il y a quelques années, la psychologue scolaire m’avait dit « ça doit te renvoyer des choses ». Oui, merci. Super.

Parfois on sait pourquoi et c’est pas mieux.

Lisa, c’est une fillette qui ne fait pas vraiment de vagues, on peut ne pas la remarquer pendant des heures, elle s’y attelle très bien. Quand on la ramène à soi, elle boude, elle fronce les sourcils au maximum, elle n’est pas très attachante. En juin dernier, j’ai appelé sa mère parce qu’elle était absente depuis plusieurs jours sans raisons. Elle m’a répondu qu’elle était en déplacement dans le Sud et qu’elle avait amené sa fille pour des vacances. Un peu séchée, j’ai rappelé l’obligation scolaire, elle m’a demandé ce qu’elle risquait. Question. Réponse. Dans le fond rien c’est le pire. De toute façon, elle s’en fichait. Avant de raccrocher, elle m’a demandé s’il y avait « des kermesses ou des trucs comme ça dans l’école ». Oui, le mot avait été collé dans le cahier, pendant son absence. Le jour J, Lisa était là, mais sa mère avait autre chose. Elle l’a donc récupérée en pleurs et l’a trainée hors de l’école.

Cet appel, je l’ai trouvé dégueulasse. Et cette kermesse loupée aussi. Ça m’a mise en colère et j’ai eu de la peine surtout. Alors dans l’été j’ai décidé que j’allais me forcer à aimer plus Lisa, qui est encore dans ma classe cette année. Même si elle râle,  souffle, me regarde de travers et « d’toute façon j’vais changer de maternelle bientôt. »

On a « fait du prénom », un peu trop à son goût. Plusieurs jours de suite même.  À force de dire que c’était nul, et qu’elle, elle savait pas le faire, ça s’est progressé maîtresse. On a fait plus de choses ensemble. J’ai demandé si elle savait pourquoi elle était tout le temps collée à une autre de ses camarades. S’empêchant l’une l’autre de travailler. Oui, elle savait. « Sinon, on n’est plus des amies si on est loin. » On a parlé un peu de tout ça. On commence à bien s’aimer. Avant les vacances, elle m’a donné une forme de triangle coloriée en robe de fille.