Dinette

Malik, il captive facilement son auditoire. Il a ce petit plus qui fait sourire. Il en fait souvent un peu trop, mais c’est drôle, ou alors ça donne fort envie de sourire. Une personnalité. Le genre d’élève qui nous pousserait à regarder vite fait dans vingt ans qui il sera. Le même en plus vieux ou un tout autre que ce qu’il laisse voir? Mais ça s’peut pas.  Pas de pouvoir magique, si ce n’est patienter tout ce temps là en remplissant ses missions. Chacun les siennes de missions. Lui, il avait choisi de se présenter comme délégué. Il fait souvent des passages éclairs à mon bureau, où il vient me raconter des bouts de sa vie. Je cherche encore le fil qui relie tout ça et ma piste la plus sérieuse, c’est que c’est un conteur, un (beau) parleur. Il a besoin d’un public, pour parler du Quick où il va se payer un petit dessert de temps en temps, ou pour me raconter qu’il va acheter de la nappe brillante à sa mère. De la toile cirée. Parce que même si ça ne ressemble pas à un cadeau d’anniversaire vraiment, parce que c’est pas très cher, il est sur que ça lui fera très plaisir, et c’est ça qui compte pour les cadeaux. Il me l’a bien expliqué. Alors bien sur, il a crané un peu quand il m’a raconté qu’il était délégué et je l’ai taquiné en lui demandant s’il s’était présenté pour être élu, seulement. En sixième on est jeune, faut dire. Et puis c’est normal quand même d’être fier si on est élu.

Et puis, un peu avant les vacances, je suis passée au collège ramener des papiers. Malik vient me parler, je ne sais plus de quoi et j’entends qu’on l’appelle au fond de la cour, le prof de sport. Alors, je lui dis de filer et même de se dépêcher parce qu’il n’a pas l’air disposé à aller plus vite. Une surveillante vient en rajouter une couche, et lui rappelle ce qui vient de lui arriver. Ou plutôt, me demande, devant lui, si je suis au courant. Elle attend sans doute que je baisse la tête en fronçant le sourcil d’un air passionné, que je le regarde droit dans les yeux en disant « Ah non, et qu’est-ce qui s’est passé? » en ralentissant bien la fin de la question. Pas besoin d’adopter ce ton de convenance culpabilisant, car elle répond tout de suite, toujours devant lui. « Et ben il a été destitué de son poste de délégué pour mauvaise conduite« .

Apprendre aux élèves que si l’on fait quelque chose qui ne convient pas, on est destitué de son mandat « politique », pourquoi pas. Mais pas sûr que cela se passe comme ça, dans la vie politique. Du faux conseil de délégué où on joue à la démocratie pour rien au limogeage de pauvre sixième, l’école est-elle condamnée à rater tout le temps dans ce domaine?