Dédivorcer

Quand ces deux parents-là et leurs deux enfants sont partis de l’école il y a quelques années, ça a été l’étonnement général. Parce qu’ils se séparaient. Non pas que ce soit écrit sur le visage des gens, mais eux, personne n’y aurait pensé. Je revois la maman qui se retenait de pleurer en disant au revoir, parce que son fils n’allait pas aller en CP « chez nous ». Parce qu’ils habitaient sur la commune depuis longtemps, parce que tout le monde devait leur dire combien c’était étonnant.

Cette année en juin, dans le flot des nouvelles inscriptions, ce nom ressort des oubliettes. Je cherche, ça doit bien faire quatre ou cinq ans. Le père m’appelle et me dit que sa femme va envoyer un mail avec la copie du livret de famille. Le mail arrive, je lis. Le nom de la femme est aussi le nom de la mère, si je comprends bien. Les livrets de famille et les situations des parents sont tellement mystérieux, je découvre régulièrement des subtilités, des cas particuliers, alors parfois je ne cherche pas plus. Arrive le moment de l’inscription, dans le bureau. Les parents tous petits sur leur chaise, et nous, tous puissants derrière nos grands bureaux. Je le revois à la fête de l’école, quand ils sont partis, avant « l’annonce ». Il avait bu trop de rosé, et il partait en rigolant en disant qu' »heureusement que tous les parents d’élèves étaient pas comme lui! » Et sa femme, qui rigolait aussi, en le tirant par le bras, mi-amusée, mi-bon allez c’est bon, on rentre. Ils étaient vraiment sympas et c’était une belle image de fin de fête de l’école où on ne devrait pas boire d’alcool, mais on le fait quand même.

Alors, je me lance et je lui demande, parce que j’ai besoin de bien comprendre les situations familiales pour éviter les bourdes et les conflits. Je lui dis que j’ai l’impression de comprendre que sa femme de maintenant, c’est…celle d’avant. Et il s’accoude sur le bureau, un peu gêné en rigolant: « Rhha, ben ouais. Ben, comment vous dire, ben avec ma femme, ben on n’a jamais réussi à se séparer. Mais on a essayé pourtant hein. Mais non. Ben on peut pas quoi, on s’aime. » Et il m’explique qu’ils sont toujours dans la même maison, avec les mêmes meubles, les mêmes enfants, tout pareil.

C’est plutôt pas mal de rater des fois.