La vie des autres

Les inscriptions, c’est un moment bizarre. Les parents prennent rendez-vous, ils semblent avoir, pour certains, des choses à prouver. Alors, que non, s’ils viennent, c’est qu’ils ont leur place dans cette école, ils ont reçu le fameux courrier d’affectation, mais ils ont quand même quelque chose à vendre, ou à revendre. Il y a ceux qui t’expliquent qu’il faut cadrer leur enfant, que tu peux y aller, lui laissant faire n’importe quoi dans le bureau en lui collant des tartes toutes les cinq secondes. L’enfant ne bronche pas et te regarde. Alors tu lui dit calmement de reposer le pot à crayons. Et il le repose parce que, j’imagine, tu as demandé sans lui coller une beigne? Il y a une psy qui dit un truc comme ça: « Si vous ne donnez pas de cadre à votre enfant, il dépensera une énergie folle à le chercher. » J’y pense souvent.

Il y a le petit gamin qui passe tout l’entretien les sourcils froncés et les bras croisés sur ton bureau à te regarder faire. Et à la fin il dit « J’suis content d’aller à ton école ». La maman agitée qui en partant, se retourne: « Je crois que je suis plus tressée que lui. » Les parents qui ont obtenu une dérogation, qui se retiennent de t’expliquer pourquoi. Et tu ne demandes pas, mais c’est plus fort que tout, à un moment ils ont besoin de vider leur sac jusqu’à ce que tu leur dises de ne pas s’inquiéter, qu’il n’y a pas de raison que ça aille mal. Ceux qui sont contents parce que tu as eu leur premier enfant dans ta classe il y a quelques années. « Vous l’avez épanoui, je veux que vous ayez l’autre ». Et là, ça m’en bouche un coin quand j’y repense. Parce que l’épanouissement, j’imaginais pas ça comme ça. Comme quoi. Les parents qui ont confiance par défaut, et ceux qui ont peur de tout. Qui veulent savoir si le cartable à roulettes, c’est bien, et si on force les enfants à manger des îles flottantes à la cantine. Ceux qui sont plus jeunes que toi et qui ont déjà deux ou trois enfants. Ceux qui ont ton âge et qui ont déjà deux ou trois enfants, pire. Ceux qui te disent « J’imagine que vous avez des enfants » parce que sans doute ça ferait de toi un meilleur pédagogue. Ceux qui disent du mal de leur ex-mari ou femme devant leur enfant. Ceux à qui tu expliques qu’être séparés ne signifie pas forcément perdre l’autorité parentale pour l’autre.

Les inscriptions, c’est mille vies en accéléré qui défilent sous tes yeux. Et ça t’en fout un coup.